16 ans, je cherche encore.

Ça faisait une heure que j’étais assis devant l’ordinateur. Une heure à fixer une page blanche. Le curseur de saisie n’en pouvait certainement plus de clignoter pour rien, dans l’attente d’une lettre, d’un mot, d’un déferlement de caractères typographiques qui pourraient constituer ne serait-ce que le début d’une idée. 

Rien. 

Le silence en écriture. 

J’ai reculé ma chaise et me suis levé. J’ai pris le temps de m’étirer un peu. Puis j’ai regardé l’heure. 22:45. Vingt-deux heures quarante-cinq et toujours rien. Je me suis alors dirigé vers l’armoire que j’y ai ouvert puis récupéré un tube métallique et un briquet. 

Posté devant la porte moustiquaire, j’écoutais les sons qui meublaient l’extérieur. Les criquets se faisaient de plus en plus rares avec l’automne qui se pointait le bout du nez. Quelques chiens au loin jappaient assurément après des moufettes ou des ratons. Un léger vent frais est venu me confirmer que le port d’un coton ouaté n’était pas un caprice de confort. 

Entre mes jambes, le chat est venu demander la porte tout en ronronnant et se frottant la tête contre mes mollets. Il s’enfuit dans la noirceur aussitôt que j’ouvris la moustiquaire. J’allumai les lumières et me dirigeai vers la piscine. J’aimais le son de l’eau qui s’agite au niveau du renvoi. 

Bien appuyé sur le rebord, j’ai porté un joint à mes lèvres puis l’ai allumé. J’ai pris une bonne puff puis ai expiré lentement. Tête baissée, je laissais cette puff faire son effet. 

  • Tu fumes ? 

J’ai fait le saut, a un tel point que j’ai lancé mon joint dans la piscine. 

  • Ah bravo… C’est nouveau ça ? Prendre les gens par surprise ? Je croyais que c’était seulement dans les films les histoires de fantômes qui font bouh!! 

Il a souri. Puis s’est appuyé contre le gazebo en me regardant. 

  • Tu aurais préféré que je t’appelle avant de venir ? 
  • Nah… je me doutais bien qu’en m’installant ici, tu viendrais me rejoindre. Ne bouge pas, je reviens. 

Une minute après, je ressortais avec deux verres. Le mien rempli d’eau. Le sien, vide. J’ai placé son verre devant lui puis me suis installé avec le mien en mains. 

  • C’est vide ? 
  • Ouais. 
  • Perchè ?
  • Bah t’es assez grand pour choisir ce que tu veux boire. Fait ton tour de magie là. 

Il a souri de nouveau, a soulevé le verre devant la lumière et l’a fait tournoyer un peu. Puis en le re-déposant, il était rempli de vin rouge. 

  • Un choix classique. 
  • Le choix qui s’imposait. Alors, Michele, dis-moi, que cosa vuoi dire? 
  • Ça va l’italien ce soir…
  • T’aimerais mieux que je parle Polonais?
  • C’est rough cette année, j’ai pas trop le goût de rire. 
  • Et pourtant, toi qui ne manques jamais une occasion de tourner les conversations en blague.. 
  • C’est juste une façon de fuir ça. 
  • Fuir quoi? 
  • La réalité, j’imagine. La peur.
  • La peur ? La peur de quoi ? 

Je n’avais pas trop envie de répondre à ses questions. Je me suis allumé un autre joint. Puis me suis calé dans ma chaise. J’ai pris une longue inspiration, puis ai relâché un large nuage de fumée. 

  • J’imagine que j’ai peur qu’on me trouve banal. Qu’on m’oublie. Que j’arrête d’exister. 
  • On t’a jamais fait sentir comme ça. 
  • Non… Mais tsé… arff laisse faire.

J’ai pris une autre puff, il a pris une gorgée. On se fixait. Éclairés par les quelques ampoules du kit d’éclairage extérieur. Ce n’était pas trop festif. Mais l’ambiance orange des lumières donnait une impression de chaleur. Alors que la rosée du soir envahissait la pelouse. Çà et là, le chat passait, chassant papillons de nuit par ici, petit mulot par là. Prenant des pauses pour manger des brins d’herbes. 

  • Je suis l’enfant que les gens regardent et de qui ils disent, il cherche l’attention, faut aps l’encourager, mais je cherche encore tonattention, ton approbation papa… 
  • Mon approbation ? 
  • Comment je fais pour savoir si ce que je fais c’est bien ? Comment je fais pour valider que je prends les bonnes décisions, comment je fais pour être fier de ce que j’accomplis, si quand je veux te le montrer, tu es nulle part ? Si quand je veux te le demander, t’es pas là ?
  • Pis tu voudrais que je fasse quoi ?  
  • Je voudrais que tu me dises que c’est correct, que c’est pas grave les échecs, que c’est normal de douter, que ça arrive les pages blanches, qu’il est beau le patio que j’ai construit. J’voudrais que tu sois à côté de moi, une bière à la main en me serrant les trapèzes pour me coller sur toi pis que tu me dises que t’es fier. 
  • Je suis fier Michel. Je l’ai souvent dit à ta mère. 
  • Mais tu ne me l’as jamais dis à moi… Pis je suis encore fâché contre les silences  parce que j’attends constamment ton approbation, pis que sans ça j’ai l’impression de perpétuellement chercher à l’avoir sans l’obtenir… 

J’ai pris une gorgée de mon verre d’eau, lui de son verre de vin. On ne disait plus rien. On se regardait, échangeant des sourires. Les gorgées se succédèrent au point où il n’en restait qu’une. J’ai brisé le silence.

  • Les silences… Encore
  • Ça a toujours été ça, tu le sais. Parler, Parler, c’est moins mon truc. Moi c’étaient les regards. Je pense que mon visage parlait sans faire de bruit, sans que j’aie à ouvrir la bouche.

J’ai souri. Puis baissé la tête. 

  • C’est ça qui te fait peur ? D’être confronté aux silences ?
  • Surement. J’imagine que j’ai besoin de réponses plus tangibles. J’ai 41 ans, papa… Pis, je suis encore le p’tit Ragazzo qui veut entendre et voir la fierté dans le regard de son père, pis qui le cherche auprès de tout le monde, parce qu’au final, il ne l’obtient pas…

Il a souri à son tour. Dans ses yeux, une petite lueur s’est installée. Il a porté le verre à ses lèvres pour prendre une dernière gorgée. Sans jamais arrêter de me regarder, sans cligner des yeux, il a fini son verre. J’ai compris, à ce moment-là, la signification de ce regard. Qu’il offrait bien plus de paroles que les mots, et qu’il donnait bien plus de poids aux silences.  

Quand le verre a touché la table, mes yeux ont quitté les siens pour le regarder. Vide, devant moi. J’ai relevé les yeux pour trouver une chaise vide. Je me suis relevé et suis retourné au bord de la piscine. Les lumières, toutes déformées, illuminaient la surface de la piscine, comme des reflets scintillant sur un lac. 

Le vent sifflait, entre les branches. Les crapauds se sont joints à la mélodie. Puis, un chien, les criquets, et même un hibou. J’écoutai un instant les silences de la nuit. Réalisant peut-être un peu plus la richesse de ces derniers. Parfois ce ne sont pas les mots qui incombent, mais bien plus les petits gestes et les regards qu’on n’entend pas. 

16 ans papa. Tes silences me manquent, tes regards aussi. Je payerais cher pour voir un instant ton regard me dire si tu es fier de moi…