J’avais choisi la violence. Ce soir, encore comme bien des soirs, jours, matin, tout le temps finalement. Sous sa forme la plus passive, c’était dans la colère que je vivait. Une violence psychologique auto-affligée. C’était juste plus facile comme ça. Je pouvais choisir d’être content. D’être créatif, même d’avoir l’air heureux. C’est facile dans le fond, on ouvre les portes doubles de notre placard à émotions et on choisit un masque. N’importe lequel? Ou plutôt celui qui va nous faire passer la journée sans questions. Certains dirons que j’ai probablement très usé celui de la colère. C’est pas faux.
Toujours est-il que ce soir-là j’ai choisi la violence, tranquille, virutelle. J’ai allumé la télévision, ouvert la playstation et me suis connecté sur Call Of Duty. Rien comme tirer sur des ennemis virtuels avec des guns pas possible et des grenades collantes pour laisser s’évacuer la rage. Certains diront que j’aurais pu choisir d’aller au Gym, ou de faire du vélo. C’est pas faux.
J’étais en plein milieu d’une folle partie de « match à mort par équipe », folle, parce que je jouais comme un pied et que mon équipe ne faisait pas mieux. D’abord on se faisait laminer lamentablement, ensuite ça devait faire au moins 15 fois que Nicki Minaj me collait une balle dans la tête avec son esti de sniper. Je l’avais spotté sur le toit de la remise au fond de la map, facile avec son suit rose éclatant, et j’ai décidé de m’entêter à aller l’éliminer, me plaçant à découvert constamment, alternant des morts rapides par balle dans le crâne, signé Nicki, des morts weirds par un avatar de Zombie ou encore un personnage complètement déjanté avec une tête de Balrog et du feu qui lui sort des yeux qui sortait de nul part en me tuant oneshot avec un couteau. Jeux de Guerre… On a plus les costumes de guerre qu’on avait. Certains diront que des «Skins débiles» ça vend mieux que des uniformes de soldats réalistes… C’est pas faux.
J’avais trouvé une faille dans le jeu de tireur d’élite Minaj, au bout de 5 balles, il devait recharger et j’attaquerais à ce moment-là. j’ai choisi le sprint en zigZag Sauté, communément appelé le Bunny Hopping, 1 balle, 2 balles, 3, 4 j’allais y arriver, j’ai tiré en sa direction pour la distraire, sans la toucher bien entendu, mes capacités de tir visé en sautant sont pas au point.
- T’utilises pas le bon fusil…
- ARGHHHHHHHHHHH! Papa calice!!
BAM!!! ( imaginez une voix d’outre-tombe): HEAD SHOT!
5e balle….
- Ah bin bravo… J’allais la tuer.
- Non. Y avait une Monstre à droite qui allait te tuer avec una mitraillette et tu as même pas remarqué, mais il y avait un personnage de cartoon stoupide qui s’en venait à gauche avec un couteau.
- C’est American Dad… T’as pas connu ça.
- Ça l’air stoupide. Pourquoi tu joues à la guerre?
- Pourquoi pas? Ça me change les idées, et je pense à rien…
- Lire? Faire du sport? Dessiner?
- T’es sérieux c’est toi qui me suggère ça? J’allais plutôt m’inspirer de toi et regarder les nouvelles, chialer contre la politique, contre l’économie et ultimement m’endormir dans le divan.
- C’est pas un beau portrait de moi ça.
- Je sais… Excuse.
Un petit silence s’installa..
Il me regardais sans cesse, ses yeux bleus clairs rivés sur moi. J’ai déposé la manette et éteint la télévision.
- Aurais-tu voulu que je mette le journal télé? ou le baseball?
- Arf non. C’est toi que je suis venu voir.
- Tu veux jaser de quoi?
- C’est pas moi qui veux jaser Michele, c’est toi.
- Je sais je sais, t’es là par ma volonté et non le contraire.
- Capisci in fretta
- Oh oh, ça va la langue de Dante ce soir. On pourrait pas s’en tenir à Molière?
- Come si desidera.
- Tu fais exprès hein?
Il sourit.
- Allez, viens à table, j’ai quelque chose pour toi, je t’ai pas oublié tsé.
- Et pourtant ça fait longtemps que je ne t’ai pas vu au cimetière.
- Ahi, un punto per te.
- Tu vois, c’est pas si difficile.
- Arrête tu sais bien que j’utilise google. Enfin, c’est vrai, j’y vais moins souvent. Mais ça veut pas dire que je t’oublie.
- Loin des yeux, loin du cœur.
- Ça va faire 17 ans… Les yeux oublient ce de quoi le cœur s’ennuie.
- Tu fais de la poésie?
- Ça ou me facher…
- Je te préfère poête.
On s’est longuement regardés . Bien sûr il ne changeait pas, enfin, si un peu, parce que ce que malgré les belles paroles, malgré les souvenirs, la mémoire est une faculté qui oublie. Les souvenirs ont tendances, même s’ils survivent au temps, à s’altérer. On commence par oublier les détails banals, ensuite, les petits détails plus pointues s’envolent un à un. Les vêtements qu’on portait, les mouvements qu’on faisait, le son de ta voix…
J’ai déposé deux assiettes sur la table, chacune contenant un petit morceau de gâteau. On a pris une première bouchée en même temps, parce que c’est comme ça que ça se passe toujours.
- Le temps passe, j’ai l’impression que certains souvenirs s’effacent.
- C’est normal tsé, avec le temps, tu t’en créé des nouveaux, et ce qui est loin… disparaît.
- J’aime pas le choix de mot. Mais tu as raison.
- Tu as quand même l’air plus… Côme si dice?
- paisible?
- Non, Che Paisible? Ma che catz’… regarde tes doigts.. encore dans ta bouche mah, ne vuoi uno? Il a levé la main pour mimer une claque, en souriant.
- J’ai pas souvenir que ça ait déjà marché cette menace là…
- Ça a toujours été plus une blague qu’autre chose.
- Mais tu vois, ça je m’en souviens bien, les blagues, mais j’ai perdu ton rire…
- Je ne riait pas assez peut-être? Ris-tu Michele?
- Je pense, je sais plus. C’est difficile, parfois.
On a pris une autre bouchée de gâteau. Puis une autre.
- Pas trop mal ce gâteau.
- Tu peux goûter les choses?
- Pas vraiment, mais je m’en souviens.
- C’est particulier. Toi tu te souviens sans doute de tout. Et ici bas, pour nous, le temps fait son œuvre et lentement on oublie.
- Ça t’énerve? D’oublier?
- Oui. J’ai toujours considéré que j’avais une bonne mémoire. Je me souviens d’anecdotes dont personnes se rappellent, de moment marquant, de choses qui me sont arrivées. Mais en contrepartie j’oublie des trucs plus récents, et d’autres anciens qui s’effacent avec le temps. J’imagine que je m’accroche à certains souvenirs.
- C’est sûrement lié à des émotions.
- Bien vue Freud.
- Très drôle… y a une fine ligne tu sais. Entre les souvenirs réels, et ceux que notre cerveau altère pour nous réconforter.
- Je sais.. j’ai déjà lu ça quelque part.. On s’invente parfois des souvenirs auxquels on finit par croire dur comme fer, alors qu’ils n’ont pas existé… J’imagine qu’on a tous une part de mégalomanie en dedans de nous autres.
- Ça, ou, on est tout simplement humain?
- Ça fait longtemps que tu n’as plus ta forme humaine tsé..
- Et? T’en manque pas une hein?
- Excuse… J’vais finir par accepter tu sais.
- C’est comme les souvenirs qui n’existent pas. Tu vas peut-être finir par y croire.
J’ai souris.
On a pris une dernière bouchées
- Bonne Fête papa. Tu… J’m’ennui tsé.
- T’as 42 ans… Tu as sûrement plein d’autres choses à penser.
- Bah. J’ai 42 ans mais me manque quand même encore mon père.
Il sourit à son tour.
- Tu veux jouer une game de guerre?
- Sur ta PlayshionStation?
- PlayStation.
- C’est ça. Non, je connais rien là dedans
- Je vais te laisser gagner.
- Pfff pas besoin que tu me laisses gagner regarde bien…
Puis on a joué quelques parties. Si quelqu’un m’a vue à travers la fenêtre du salon, il s’est sans doute demandé; qu’est-ce qu’un gars de 42 ans fait à 23:00 un mercredi soir à jouer à Call of Duty, tout seul, en riant et faisant des high fives dans le vides.
J’y répondrais qu’à travers le quotidien bien rempli, du temps qui s’arrête jamais, des nouveaux souvenirs précieux qui se créés, ce soir j’ai fait une pause pour m’inventer des nouveaux souvenirs, qui’existent pas.