Quand Antoine a ouvert la porte de l’appart de Fred, il a immédiatement eu un pas de recul.
Ça sentait encore l’encens avec un fond de désinfectant.
— Le concierge m’a dit qu’il a fait un nettoyage sommaire, lança-t-il en entrant.
— Son esti d’encens… criss que ça pue, lança Rachel en franchissant la porte.
— Commence pas, Rachel. Moi, je trouve que ça sent bon, renchérit Maude avec douceur.
Chris se contenta d’entrer. Il était 17 h 30 et la lumière qui filtrait à travers le rideau donnait une teinte chaude et agréable au salon.
Il fit le tour de l’appartement. Tout était plutôt en ordre, à l’image de Fred : chaque chose était à sa place.
Seul un clou sur le mur, où était accrochée sa photo de service militaire, faisait mention de son absence.
La bonne nouvelle, c’est qu’il n’avait aucun animal.
En revenant dans la cuisine, il constata qu’Antoine, Maude et Rachel étaient en train de se séparer les tâches.
— Vous pourriez m’attendre.
— On pensait que tu t’occuperais du salon, avança Maude.
— On pourrait faire ça en binôme, ça serait moins rushant.
— T’as raison, lança Antoine.
Maude et Christophe attaquèrent le salon.
En somme, il n’y avait pas grand-chose à récupérer : quelques livres, la télévision et une trentaine de Blu-ray.
Christophe s’occupa rapidement d’aller porter la télévision dans son camion.
Pendant ce temps-là, Maude avait fini de débrancher le modem et les différents petits appareils.
Elle remplissait des boîtes avec les coffrets, livres et autres babioles qu’ils iraient porter dans un point de collecte.
Maude jetait constamment un œil vers la chambre de Fred, où Antoine était installé avec Rachel.
Quand Christophe revint, il remarqua qu’elle les espionnait.
— T’aurais dû le dire que tu voulais être en équipe avec lui.
— J’ai pas eu le temps, t’as dit : “Maude et moi, on s’occupe du salon.”
— Je pensais que tu trouverais ça moins pénible.
— J’ai pas besoin d’être protégée, Chris.
— T’es fragile.
— T’es frère poule.
Pendant ce temps-là, dans la chambre, Antoine remplissait un sac avec les vêtements du garde-robe.
Rachel s’occupait des tiroirs.
Elle y allait machinalement, sans trop d’émotion.
Elle fit une pause en prenant un pantalon dans le dernier tiroir.
— J’l’avais magasiné avec lui, ce pantalon-là.
— Toujours trouvé que ça fitait pas avec le reste de son linge.
— Y voulait rien savoir de l’porter, mais il voulait me faire plaisir.
— J’le comprends.
— Toi aussi, t’aimerais me faire plaisir ?
— Pas ici, Rachel…
Ils finirent de vider la chambre et allèrent porter les sacs dans le camion de Christophe.
En remontant, ils se dirigèrent vers la cuisine.
Christophe et Maude les y attendaient, assis à table.
Christophe proposa qu’on se dépêche à vider les armoires et le frigidaire pour ne pas s’éterniser, rappelant que les déménageurs de l’Armée du Salut passeraient le lendemain matin.
Rachel tournait en rond.
Elle finit par ouvrir le frigidaire et prendre des bières, en offrant une à tout le monde.
Christophe refusa avec véhémence.
— Cibole, Rachel, un peu de respect.
— C’est pas comme s’il pouvait les boire.
— T’as aucun respect pour rien. Respecter les morts, ça te dit rien ?
— C’est moi qui les ai achetées y a un mois.
— Vous vous voyiez souvent, coudonc ?
— Bin oui. Fuck friend, c’est un terme que tu connais ?
— Toi pis Fred ? Ark.
— C’est déjà mieux que toi pis personne.
— Va chier.
Il se dirigea vers l’armoire et commença à remplir une boîte avec les cannages et emballages de pâtes sans gluten.
Maude entama de vider le frigidaire, alors qu’Antoine remplissait des cartons avec la vaisselle.
Rachel, excédée, sortit sur le balcon, s’alluma une cigarette et s’appuya sur la rambarde.
Antoine regarda Maude, qui détourna le regard pour se concentrer sur le frigidaire.
Il délaissa les assiettes et alla rejoindre Rachel.
— Tu m’donnes une cigarette ?
— Prends la mienne, j’en veux plus.
Il prit une puff, rejetant la fumée en l’air.
Elle s’en alla en hauteur, traçant de longues volutes en spirale.
Rachel reniflait. Une larme coulait sur sa joue.
— Ton frère est de mauvaise foi, écoute-le pas.
— Il veut toujours tout contrôler, même avec qui j’couche.
— Y est juste jaloux des libertés que tu t’accordes, j’pense.
— Y avait juste à pas se marier.
— Tu l’aimais, Fred ?
— Non.
Elle fixa le vide un instant, reprit la cigarette, tira une longue bouffée, puis la lança en bas, dans le gravier.
— Y a aucune fille qui tombait amoureuse de Fred.
— Y était pas chanceux avec ça.
— Mais y couchait quand même avec moi.
— Là-dessus, il était chanceux.
Elle sourit, regarda vers Maude qui les dévisageait, donna un coup de coude à Antoine, puis ils retournèrent à l’intérieur.
Au même moment, Maude sortait une grosse boîte blanche du frigidaire.
Elle la plaça sur la table et l’ouvrit.
Un gâteau de fête : « Joyeux 41e anniversaire FRED ! »
Christophe s’approcha, fit remarquer que le gâteau était intact.
Antoine intervint.
— On était supposé faire sa fête ici, y a trois semaines.
— Pourquoi on l’a pas fait ? Il était vivant, il y a trois semaines ? demanda Maude.
— Il a fait une indigestion. Y a mangé un truc plein de gluten.
— Il était tellement distrait, ajouta Rachel. On devrait le manger, à sa santé.
— Quelle santé ? Il est mort, grogna Christophe.
— Tu gosses donc bien aujourd’hui, t’aurais pu rester chez vous, tsé.
— Hey, c’tait mon ami aussi, Fred. Toi, tu bois ses bières, pis là tu veux manger son gâteau !
— Tabarnak, Chris ! C’est sûrement ce qu’il aurait voulu, hein, qu’on le mange, son esti de gâteau !
Elle prit la boîte. Christophe s’interposa et tenta de la lui enlever.
Maude et Antoine reculèrent dans l’entrée de la cuisine.
— Lâche le gâteau, Chris.
— Arrête d’être random ! C’est pas parce que tu fourres tout le monde que t’as le droit d’y manquer de respect.
— Pis après tu t’demandes pourquoi Sarah voulait rien savoir de toi !
Maude essaya de calmer le jeu en s’adressant fort à Antoine.
— C’est quand même ironique d’être intolérant au gluten pis de se faire écraser par un camion de livraison de Farine Five Roses.
— Y a juste à Fred qu’un truc comme ça pouvait arriver.
— SÉRIEUX, MAUDE, C’EST PAS DRÔLE !
En criant après Maude, Christophe lâcha la boîte.
Ça a eu un effet de fouet sur Rachel, qui trébucha et se cogna contre une chaise.
La boîte lui glissa des mains en faisant un genre de flip.
Le gâteau, entraîné dans la chute, alla s’écraser par terre.
Tous se turent.
Ils entouraient le gâteau, regardant le gâchis.
Ce furent Rachel et Christophe qui brisèrent le silence.
— Finalement, il va l’avoir, son gâteau… Il est parti le rejoindre.
— Criss… il a pris un gâteau à son image : mort écrasé.
Maude et Antoine éclatèrent de rire.
Pas parce que c’était drôle, mais devant l’ironie de la situation.