Memento Mori… Finale

Partie 3

Café Rizzo, en soirée


Plus tard dans la soirée, Antoine était de retour au café, fermé. L’interrogatoire avait été long, tendu. Christophe l’avait repoussé loin dans ses retranchements, faisant ressortir des souvenirs qu’il aurait préféré oublier. Il se versa un verre de scotch, s’assit au bar. Dans le miroir du fond, fait de formes losanges, son visage se reflétait, déformé par les tablettes garnies de bouteilles.
— Esti… souffla-t-il.

Il lança son verre, qui au contact du mur, éclata en morceaux.


Quelques jours plus tard

Vendredi soir, dans un bar sombre du sud-ouest. Éclairage tungstène, ambiance chaude et lourde, mais les silences restaient glacés. Seul à une table, Christophe était affalé, un whiskey cheap à la main. Caro, la serveuse, lui en déposa un autre. Il marmonna un merci à peine audible.

Sarah arriva au même moment.
— J’vais te prendre un dry martini… pas trop dégueu, si possible.

Elle lui sourit, déposa son sac sur la chaise et s’assit à côté. Ses mains se posèrent sur la table, silencieuses. Christophe la regarda à peine, épuisé par la vie. Quand elle reçut son verre, elle remercia la serveuse, prit une gorgée, fit une grimace, mais sembla satisfaite. Elle mangea une olive, puis brisa le silence :
— J’ai connu des cadavres plus bavards que toi, Langlois.

Il tourna la tête vers elle, l’observa un instant, puis replongea dans son verre.
— Rizzo… Toujours lui…, grommela-t-il.

Sarah eut un sourire cynique, presque amusé. Elle croqua une deuxième olive, puis souffla :
— Ça te ferait une belle épitaphe, ça.

Elle posa une main sur son dos, appuya sa tête sur son épaule. Deux êtres, un peu brisés, pas encore morts. Juste là, encore vivants, parce qu’ils n’avaient pas d’autre option. Le silence retomba.


De l’autre côté de la ville, au Café Rizzo.


Antoine avait commencé à nettoyer plus tôt. L’ambiance y était feutrée, froide. Le néon donnait un éclairage sans émotion. Une seule table restait dressée, un lampion allumé, une bouteille de rouge ouverte, deux verres. La vieille radio jouait un Lacrimosa de Mozart, grésillant, hors phase.

Antoine était assis, tranquille, quand la clochette tinta. Maude entra. Délicate, elle referma derrière elle, prenant soin de retourner le carton à « FERMÉ ». Elle garda la main un instant sur la porte, tête basse, puis avança vers la table.

Elle retira son long manteau, révélant plus de peau qu’elle n’en avait jamais montré. Sa robe légère, presque transparente, laissait voir sa fresque en losanges. Son corps entier en était couvert, liant les AR et les MM. Mais il y avait plus : des scarifications fraîches, dans chaque losange. Du sang avait teinté la robe par endroits. ARMM, partout.

Dans un geste sec, dramatique, elle sortit une brique de son sac et la posa sur la table.

Antoine devint livide, incapable de savoir où poser son regard.
— Tu t’en souviens, Antoine ?

Elle laissa le silence s’installer.
— Touche-la. C’est la même. La même, Antoine…

Sa voix tremblait. Antoine, tête basse, effleura les lettres encore visibles :Tony… Memento Mori.

— C’était pas juste une menace, Tony… C’était une malédiction. TA malédiction.

Il releva les yeux, les posa sur les tatouages sanglants de Maude.
— C’était toi… les meurtres. Les cinq. Mutilés, scarifiés…

Sa voix s’éteignit presque, refusant la vérité.

— Toi, tu nous as marqués de ta malédiction sur nos peaux. Moi… je l’ai incrustée dans la leur.

— Pourquoi… pourquoi maintenant, Maude ?

Ses poings se serrèrent.
— Vingt-six ans, Antoine. Vingt-six ans que je revois le café, le chaos, Memento Mori partout. Pis pour être sûr de pas être tout seul dans ta culpabilité, tu nous as fait porter ça comme un fardeau. Une brûlure qui nous colle à la peau depuis ce temps-là. À chaque fois que je viens ici, ce miroir en losanges… j’y vois nos faces d’ados. La tienne. Celle de ton père, de Claude. T’as condamné chacun de mes jours à vivre avec ça.

Antoine baissa la tête, fixant son verre de vin.
— J’ai jamais voulu te faire porter ça… J’ai… c’était… une idée. Un pacte, pour nous unir dans l’adversité…

— VA CHIER, Antoine Rizzo. C’était TON idée, ton serment, ta culpabilité. Moi, j’étais trop naïve. Incapable de dire non… De te dire non. Je… Fallait que je dise oui… elle fit une pause, tournant la tête vers la droite, puis elle se redressa en le fixant droit dans les yeux. Pis ce « oui »… il m’a guidée dans chacun des meurtres. Lecomble. Les Carabello. Balsanno. Gallucci. Un par un. Ils ont tous compris le sens des mots. Je pensais que ça me libérerait…

Sa voix s’adoucit, puis elle eut un rire sombre, presque hystérique.

Antoine leva les yeux, contemplant ses tatouages.
— Et AR ? Amor Regnat. L’espoir ?

— Fuck, Antoine… t’es tellement naïf. L’ado en toi est jamais parti.

La radio grésilla, puis laissa s’élever les premières notes de l’Ave Maria.

Maude serra une arme dans sa main droite, sortie de son sac. Elle la posa sur la table, le canon pointé vers Antoine. Sa voix tremblait. Des larmes coulaient sur ses joues rouges.
— Je t’ai aimé, Antoine… autant que je t’haïs depuis vingt-six ans. Tu nous as maudits. Aujourd’hui, je nous libère. ARMM… Antoine Rizzo… Souviens-toi que tu mourras.

Elle leva la main, arme au poing, tremblante. Antoine ne bougea pas. Pas un geste pour protester. Presque apaisé. L’Ave Maria montait sous la voix de Pavarotti.

« … in hora mortis… mortis nostrae… »

Antoine leva son verre de vin vers elle, ferma les yeux.
Memento Mori.

La main de Maude arrêta de trembler. Le canon visait la tête. Sa respiration devint lente. Son doigt se posa sur la détente. Elle ferma les yeux.

Antoine sourit. Enfin.

Fin.