Vautours et Rital

Le soleil, brûlait déjà la terre sèche depuis plusieurs heures. Le vide remplissait ce lieu aux paysages martiens. Quelques buissons séchés et trois ou quatre cactus venaient briser la ligne d’horizon floue et ondulante, à cause de la chaleur. Un nuage de poussière s’élevait au loin. Une voiture filait à toute allure. Ça aurait été cliché de dire que c’était une El Camino noire. C’était une El Camino noire… Au bout d’un moment, elle s’est arrêtée, la portière s’est ouverte et, sans avertissement, un homme vêtu d’un pantalon propre et d’une chemise bleue en a été éjecté. Son corps a donné lourdement contre le sol, il a effectué une roulade pour se retrouver sur le dos, les jambes pliées. De la voiture lui a été lancé un veston de la même couleur que ses pantalons. Une femme est ensuite sortie de l’auto.

Rachel Conway. Mais ça se prononçait « Ray » « Tchell ».

Elle portait des bottes d’armée, une jupe courte évasée, verte, et un t-shirt blanc agrémenté de bretelles noires. Elle avait les cheveux frisés roux, aussi brûlants que le soleil. Elle a fait quelques pas puis s’est penchée au-dessus de l’homme.

— Tsé l’Rital, t’es un chic type.

Elle a ensuite regardé vers la voiture, hésitante.

— J’aurais même pu tomber amoureuse de toi… Mais bon, Antoine, force est d’admettre que cette fois-ci, c’est moi qui gagne.

Puis elle lui a donné un violent coup de pied dans les côtes, avant de retourner vers la voiture. Elle s’est penchée, a pris quelque chose dans l’El Camino, puis s’est retournée vers lui et lui a alors lancé une bouteille d’eau.

— Tiens, t’auras besoin de ça, la route est longue. Bois-la pas toute d’un coup.

Puis la voiture s’est éloignée dans un nuage de poussière.

Antoine a mis un peu de temps à se relever. D’abord il ressentait encore la douleur du violent coup de pied, mais aussi son visage lui donnait l’impression d’avoir reçu une correction d’un boxeur professionnel. Le simple touché de sa bouche, sa joue et son front lui fit comprendre qu’il avait plusieurs blessures. Une texture collante, qu’il attribua à du sang pas complètement séché, recouvrait la partie droite de son visage.

Il commença donc par s’asseoir pour évaluer la situation. Il était perdu au milieu de rien, aucune route en vue, aucune ville, aucun oasis. Seulement lui, sa bouteille d’eau et son veston. En sortant le téléphone de sa poche, il constata que ce dernier était hors d’état, abîmé par sa chute. Il se releva, non pas sans douleur, puis, suivant son instinct, il marcha vers le nord.

Au bout de trente minutes, le conseil de Rachel avait vite été oublié, sa bouteille d’eau était vide et abandonnée cent mètres derrière. Le soleil avait l’effet d’un marteau-piqueur sur sa tête et il était impossible pour lui de reprendre ses esprits. Le souvenir de la vieille était plutôt vague. Mais chose certaine, il se retrouvait dans une fâcheuse position. Toujours étourdi, il essayait de se souvenir. Rachel… Maude… puis plus rien.

Soudainement, une Ford Ranchero brune sortit de l’horizon, elle aussi soulevant un immense nuage ocre derrière elle. Lorsque parfaitement alignée avec lui, elle fit un virage à 90 degrés dans sa direction. Quelques minutes plus tard, qui lui parurent en fait des heures, la voiture s’arrêta à sa hauteur. Les vitres teintées empêchaient quiconque d’identifier le conducteur. Puis la porte s’ouvrit. En sortit d’abord une jambe, complètement dénudée jusqu’à la mi-cuisse, arborant des Converse Chuck Taylor aux pieds. Le haut de la cuisse était recouvert d’une jupette en cuirette noire. Le reste du corps en sortit quelques secondes après : camisole bleue, par-dessus une camisole rose. Un bandana autour du bras droit, des cheveux frisés roux, une bouche pulpeuse et surtout des lunettes de soleil couvrant près de la moitié de son visage.

Maude Conway. Ça se prononçait « MowwwDE ».

Elle s’approcha de lui d’un pas décidé, tenant une bouteille d’eau dans la main gauche. Elle fit mine de la lui tendre mais opta plutôt pour une gifle de la main droite directement sur sa joue droite. Il encaissa sans rien dire.

— T’es dans un sale état.

— La gifle était nécessaire ? demanda-t-il en se frottant le visage.

— Oui, et il y en aura d’autres si tu continues comme ça.

Un léger silence s’installa. Le vent soulevait quelques roulis de sable et les envoyait contre leurs jambes. Elle se retourna et se redirigea vers la voiture.

— Allez, dépêche, les vautours ont déjà annoncé ta mort.

Ils s’installèrent alors dans la voiture. Maude la remit en marche et ils aboutirent sur une route d’État en moins d’une trentaine de minutes. Il brisa ensuite le silence.

— Comment m’as-tu retrouvé ?

— Les Vautours.

— Sérieusement ?

— J’ai suivi Rachel. Je me doutais bien qu’il t’arriverait malheur.

— C’est quoi la suite ?

— Ah ça mon beau Rital, ça va dépendre de toi. Allez, moins de questions. On passe chez toi te doucher, te changer, et après on verra.

Il ne sourit pas, l’air dubitatif, mais il ferma les yeux, pencha le siège et se laissa porter par la route.

Une heure plus tard, ils arrivèrent devant chez lui. Maude gara la voiture et coupa le moteur. Il mit sa main sur la poignée, mais elle l’arrêta. Puis le tira vers elle et l’embrassa langoureusement.

— La gifle, c’était pour m’avoir foutu la trouille. Ça, c’est pour que tu n’oublies pas que je te retrouverai toujours, peu importe.

— J’en ai jamais douté.

— Ah non ? dit-elle en levant un sourcil.

— Tu me retrouves toujours.

— Je suis la meilleure. Allez à la douche.

Ils montèrent les marches qui menèrent à son logement. Rizzo ouvrit la porte et tomba face à face avec Rachel, couchée dans le divan, cigarette à la bouche. Maude le poussa et entra en trombe.

— Salle conne ! Dans le désert !! Et c’était nécessaire la raclée ?

— Arrête, ça fait plus réaliste. J’avais pigé « enlèvement mafieu ».

Elle jeta la cigarette dans une conserve puis se leva. S’approchant de lui, elle arriva à sa hauteur et lui caressa le visage.

— Ça va, t’as pas trop mal ? lui demanda-t-elle d’une voix douce.

— J’ai eu de meilleures journées.

— Petit cœur. T’es fait tough… Puis elle regarda vers Maude. Et… T’as un ange gardien.

Elle prit ensuite son visage à deux mains et l’embrassa avec fougue. Elle sauta pour l’entourer de ses jambes, ce qui eut pour effet de les faire tomber dans l’autre divan. Maude regardait la scène sans broncher puis intervint.

— Hey ho. Je te rappelle que je l’ai trouvé, donc c’est MOI qui gagne la manche et il est à moi pour 24 heures.

Rachel releva la tête.

— C’est sûr que tu as triché. On devrait se le partager ce soir. T’en penses quoi, toi ?

Antoine avait l’air épuisé. Pour toute réponse, il s’assit et s’alluma une cigarette.

— Regrettes-tu d’être tombé amoureux de deux jumelles, mon chou ? renchérit Maude en venant s’asseoir à côté d’eux.

— C’est pas d’être tombé en amour avec des jumelles, son problème, c’est qu’il est tombé sur nous, ajouta Rachel, puis elle se mit à rire en se levant.

Elle se dirigea vers la cuisine et revint avec un bol à la main. Elle prit son air fauve, puis le tendit vers Antoine.

— Allez Rizzo. Choisis-moi un défi. Nouvelle règle : si je gagne, je t’ai pour une semaine…

— Une semaine !! C’est pas juste ça, s’imposa Maude.

Antoine la regarda, mit sa main dans le bol. Il en sortit un petit papier, le lut, puis regarda Maude, nerveuse à en ronger ses ongles, ensuite Rachel, qui trépignait d’impatience. Il lut le papier :

— Cacher le Rizzo ; bâtiment abandonné.

Rachel tapa des mains, son sourire fendu jusqu’aux oreilles. Puis elle s’exclama :

— Ouhhhh, ça va être amusant, ça !

— J’ai déjà plein d’idées, ajouta Maude, hilare.

Antoine, un peu confus, voulut protester. Il ouvrit la bouche en commençant à se retourner, mais un violent coup vint freiner sec son élan. Son corps s’écroula au sol dans un bruit sourd.

Rachel s’avança en applaudissant, sourire en coin.

— Magnifique swing. T’as rien perdue de la balle-molle, toi.

Maude ricana, puis sourit :

— C’est la pratique de mon revers au tennis.

Rachel haussa les épaules. Elle s’accroupit près d’Antoine, lui caressa la joue, puis l’embrassa sur les lèvres.

— Prêt pour la deuxième manche, mon amour ?

Elle se releva puis sortit son téléphone de ses poches.

— C’est pas tous les jeux, mais avant, on commande une pizza ? J’ai tellement faim.

Maude, qui s’était assise dans le divan, la regarda, ébahie.

— Toi là… Tu serais capable de commander de la bouffe pendant une fusillade.

Rachel s’esclaffa, puis s’assit à son tour dans le divan de cuir, regardant Antoine inconscient sur le sol.

— Bin quoi ? Ça va prendre de l’énergie pour cette nouvelle manche-là.

Maude acquiesça, posa ses pieds sur le corps d’Antoine, endormi, l’utilisant comme pouf, puis souleva sa bière en direction de Rachel.

— À une nouvelle manche ! Sans désert cette fois.

Rachel rit, puis fit cogner sa bouteille sur celle de sa sœur.

— Que je gagnerai, cette fois.

Antoine émit un grognement sourd dans son sommeil forcé. Rachel ricana et ajouta :

— Il approuve.

Maude soutint son regard, fronçant les sourcils en signe d’acceptation du défi.

— Game on, que la meilleure le gagne.