Toi, moi et Pavarotti

C’était une journée comme une autre. Pour tout le monde. Moi, j’étais assis à table, encore, seul. Il y a ces petits moments de solitude qu’on apprend à apprécier. Alors que la maisonnée était dans les bras de Morphée. Moi j’appréciais la violence du silence. Même le chat avait choisi la solitude, couché sur le divan. J’avais préparé deux parts de gâteaux, rien de fancy, et deux verres d’eau. Et comme l’enfant à qui on cache les yeux pour lui révéler une surprise, j’attendais. Sans trop savoir quoi. Sans croyances particulières, je cherchais sans doute un signe. Sachant très bien que ce serait sûrement vain. 

L’espoir a cette particularité-là, parfois, d’être pour certain une source de motivation, et pour d’autres, un fardeau à traîner.

Devant le silence incessant, j’ai décidé d’entamer mon dessert. Après tout, ç'eût été du gaspillage que de le laisser là. J’ai pris ma fourchette et la laissai déchirer la pâte chocolatée. Traversant les couches de glaçage une à une. J’aimais utiliser une fourchette pour le gâteau, parce que si la cuillère faisait office d’un récipient parfait et sans gâchis, son dos venait couper toute la saveur en appuyant sa structure métallique sur notre langue. La fourchette en contrepartie, avec ses dents et espacements, laissait le crêmage se répandre partout dans la bouche, enveloppant les capteurs sur la langue en même temps qu’elle nourrissait le palais. 

Avant de prendre une bouchée, je regardai l’assiette devant moi, la chaise vide, les ustensiles bien placés, la fourchette à gauche. 

  • Bonne Fête Papa! 

Je fermai les yeux et m’envoyai une portion de gâteau directement dans la bouche. Savourant le goût du chocolat, de la vanille, appréciant la sensation du glaçage fondant se mélangeant à la salive, inévitablement sécrétée par autant de sucre. 

  • Du gâteau avec un verre d’eau, ce n'est pas ton style. 

Je souris. Cette voix, que j’oubliais lentement. Je la reconnaissais, à nouveau. J’ouvris doucement les yeux. Tu étais là, redescendant ton bras, en même temps que moi. Savourant aussi un morceau de gâteau. 

  • Je t’aurais bien servi un verre de lait, mais tu n’as jamais aimé ça. 

  • Non, mais peut-être un caffè ou une grappa. C’est la fête ou ce ne l’est pas ?

  • Ce ne l’est plus…

Il marqua une pause. Laissant s’échapper un soupir. 

  • Tu disais que tu avais le luxe de donner aux choses, le goût que tu veux, transforme l’eau en vin, ce sera biblique ! 

  • Très drôle. Toujours aussi fâché à ce que je vois. 

  • Non. Enfin… Je pense que fâcher, c'est devenu un trait de personnalité dans mon cas. 

  • Ce n'est pas forcément une bonne chose tu sais… 

  • Ouin. Je vieillis, je deviens comme toi. 

Il m’a souri. Sans doute sa forme de réponse la plus éloquente. Un silence accompagné d’un sourire, d’un froncement de sourcil, d’un hochement de tête. La communication a cette particularité de venir en plusieurs formes. Certainement quelque chose qu’on comprend trop tard.

On s’est repris une bouchée de gâteau. 

  • Le plus tough c’est de trouver les repères. 

Il me regardait sans rien dire. Me scrutant. Il a laissé quelques minutes passer, puis a enchaîné :

  • Y’a pas de guide quand on devient parents. Je n'ai jamais demandé à mon père comment faire. 

  • C’est générationnel ça papa. Tu ne lui aurais rien demandé de toute façon. 

  • Je ne me souviens pas que tu m’aies demandé conseils sur quoi que ce soit. 

C’était mon tour de le regarder en silence. Je pris une gorgée d’eau. Il fit de même. Le son de nos verres se posant sur la table vinrent briser le silence. 

  • J’imagine que je voulais te montrer que j’étais tough. Autonome, fier. On ne se rend pas compte, j’imagine à cet âge-là que tout est éphémère. On ne comprend pas que ce qu’on ne dit pas là, peut-être qu’on pourra jamais plus le dire. On ne comprend pas que parfois il n'y a pas de deuxième chance. On ne sait pas encore ce que sont les regrets. 

  • Je ne savais pas non plus tse… 

  • Je sais. Ce n'est pas ta faute. Mais j’ai cette même rage en dedans que je t’ai si souvent vue avoir. Cette hargne, cette colère. Je suis tout le temps en criss, encore. C’est comme si c’était ça mon modèle. Et je sais qu’il y a plus. Tellement plus. Mais j’oublie. Parce que le temps passe papa. Ça va faire 15 ans que le temps passe. Et moi, j'oublie. J’oublie la beauté. Mais je garde la colère. 

Il me regardait fixement. Ses yeux bleus rivés sur moi.

  • J’étais plus que juste fâché… 

  • Je le sais voyons… Et j’ai plein de souvenirs de ça… 

Il baissa la tête. 

  • Y’a personne qui s’émerveillait comme toi devant un arc-en-ciel… Qui scrutait le ciel en août pour trouver une maudite étoile filante. J’ai ces souvenirs de toi qui fouilles la terre pour trouver des champignons. Te souviens-tu quand tu te levais d’un coup en plein Stade Olympique pour célébrer un circuit de Larry Walker! ou encore de quand tu avais les yeux bien ronds en prenant des tomates dans le jardin. J’entends encore ton rire quand tu regardais Toto ou les talks shows complètement déjantés sur Rai Uno. 

Je me suis mis à pleurer. 

  • Je me souviens de tes grands yeux et ton sourire m’offrant une tranche de melon d’eau. « Mange, mange Michel, check comme il est bon!! ». Je te revois chanter dans la cuisine. J’ai ce souvenir que tu fermais les rideaux de cuisine pour que les voisins ne te vois pas faire la vaisselle. Je revois le bonheur sur ton visage en regardant un spectacle de Pavarotti. Ton rire quand tu nous racontais tes histoires de taverne ou de barber shop. J’ai cette belle image de toi, qui danse sur Caruso dans la cuisine avec maman qui te trouve trop intense, mais qui danse avec toi parce que ça te fait plaisir. 

J’ai marqué une pause pour essuyer mes yeux. 

  • J’ai peur que ma colère fasse que j’oublie tout ce qui était beau. J’ai peur de ne plus apprécier la simplicité des belles choses, parce qu’en dedans ça bouille… je suis comme un presto. Pis, je suis en criss, en tabarnak parce que c’est ta fête, pis encore une fois, on ne peut pas la fêter. C’est banal de me fâcher, t’es plus là… Mais je n'arrive pas à me faire à l’idée que tu riras plus, que tu chanteras plus, que tu chercheras plus d’étoiles filantes. J’aurais voulu que tu chantes à mon mariage… Que tu fasses connaitre Pavarotti aux enfants… J’essaye d’avoir ta folie, ton rire, la simplicité des petits bonheurs, mais je ne les retrouve pas… Pis, j’te garde en vie en exprimant ta colère, qui est devenue la mienne. Et je ne sais pas pourquoi je suis fâché parce que je t’ai jamais demandé pourquoi toi, tu l’étais… 

Nos assiettes étaient vides. Nos verres aussi. Il restait nous dans la salle à manger avec comme compagnie le chat maintenant couché sur une chaise. Doucement de la musique a commencé à jouer. 

  • Écoute Michel… 

Il a fermé les yeux. Se laissant porter par la mélodie. Tranquillement, chantant les paroles.

« Qui dove il mare luccica,

E tira forte il vento

Su una vecchia terrazza

Davanti al golfo di Surriento »

Il s’est levé lentement et est venu me rejoindre. Je pleurais toujours, la tête entre les mains. Il m’a tendu là sienne. Je me suis levé et senti son étreinte m’emporter. Doucement, sous la voix forte de Pavarotti, on s’est retrouvé là, dans la salle à manger à danser sur les airs de Caruso. Comme un père qui essaie de calmer son enfant de deux ans en crise, j’étais dans tes bras.

« Sentì il dolore nella musica,

Si alzò dal pianoforte

Ma quando vide la luna uscire da una nuvola

Gli sembrò più dolce anche la morte » 

J’entendais sa voix murmurer les paroles, alors qu’il me guidait toujours dans cette danse improbable. Puis, se reculant un peu, il repartit tout en voix:

« Te voglio bene assaje,

Ma tanto tanto bene sai

è una catena ormai,

Che scioglie il sangue dint’ ‘e ‘vvene sai »

Il me regarda, souriant. Mes yeux s’étaient asséchés. Je souriais devant le farfelue de cette scène. J’étais le petit garçon de 15 ans qui trouve ridicule son père de vouloir danser avec lui sur une chanson dramatique. À quarante, je regrettais la gêne éprouvée avant et comprenait maintenant mieux combien ce sont ces petits moments là qui, même aussi minimes et simples, ont la plus grande des valeurs. 

  • Je pense pas que j’ai jamais su pourquoi j’avais toute cette colère-là en moi. J’ai fait mon possible quand même pour vous montrer à travers ça, que j’étais heureux et que le bonheur et les belles choses ça ne demande pas d’effort. Il faut juste les saisir au passage. 

J’avais refermé les yeux, gardant son étreinte, bougeant lentement au rythme de la voix de Pavarotti. Une légèreté s’installait tranquillement. Les souvenirs heureux chassant le temps d’un instant la colère d’un anniversaire effacé. Quand je les ai rouverts, le Ténor poussait les dernières notes de Caruso. Moi, je dansais seul dans la cuisine. Sur la table, deux assiettes vides, contenant les traces et miettes d’un gâteau. Je les ai rangées dans le lave-vaisselle en prenant soin de ne pas trop faire de bruit. J’ai fermé les lumières et me suis approché de la porte-patio pour regarder dehors. En observant le ciel, les nuages se dégageaient, le croissant de lune essayant de percer à travers les cumulus pour illuminer le firmament. Juste avant, en observant le trou formé par le mouvement des nuages, pendant une fraction de seconde, un trait lumineux vint éclairer la nuit. Puis un autre, et un autre, ils se multiplièrent. Enfin, les nuages se refermèrent et une pluie estivale est venue interpréter son récital nocturne. Dans une courte réflexion, remarquant qu’on était en pleine période des Perséides, je me suis dit qu’il fallait bien être né un 13 août pour aimer autant les étoiles filantes. 

Toujours en regardant le ciel, je me suis exprimé : 

  • Bonne fête papa. Merci. 

Puis j’ai fermé les rideaux, me disant que quelqu’un aurait pu me voir danser. 



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