Un soir seulement

Un homme et une femme, fond rouge

Elle avait dit d’une voix douce, avant de quitter mon bureau, « Je voudrais que tu sois à moi, pour toujours… »

« Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes » disait Voltaire dans Candide. C’est exactement là où je me situais en ce début juin. L’été était à nos portes, la trentaine débutait, et j’avais le monde devant moi. À chaque jour ses défis, mais surtout ses opportunités. Avec ça, un de mes plus grand défaut. Ce qu’ils appellent en anglais le FOMO, fear of missing out, la peur de manquer quelque chose. C'était sans doute là mon plus grand défaut, mon plus grand vice. Cette peur constante de passer à côté d’une occasion. Mon autre, était le besoin de plaire. Tout le temps. Et, j'avais le bon métier pour ça. Je passais mon temps à essayer de charmer des gens et les convaincre que nos projets étaient les meilleurs. J'usais de tous les moyens, sans aucune retenue. Billets de faveurs, sorties dispendieuses, soupers, je n’avais que pour limites, celles de l'autre. Si certain disaient que je n’avais aucun scrupule, moi je dirais que je fais toujours ce qu’il faut pour obtenir ce que je veux.  

En arrivant au bureau ce matin-là, une nouveauté attendait tout le monde. Une nouvelle adjointe administrative s’était jointe à l’équipe. Sarah. Ou comme mon collègue Stéphane l'appelait, la belle Sarah. Mi-vingtaine, grande, un corps élancé, le teint pâle, des cheveux d’un noir pur. Elle arriva un peu comme une surprise. D’abord, derrière ses airs rigides gothiques, elle affichait constamment une bonne humeur et une joie de vivre. Son rouge à lèvre écarlate mettait tout son visage en valeur. Mais, surtout, attirait toute l’attention sur sa bouche. Lorsqu’elle souriait, parlait, nous étions tous envoûtés par cette bouche, rouge, , aux lèvres charnues, et aux dents parfaitement blanches. Une chorégraphie hypnotisante en tout point. Enfin, au-delà de ça, elle était d’un professionnalisme sans faille, la ressource parfaite dont notre petite entreprise d'architecture avait besoin. 

Les semaines passèrent. Derrière ce sourire, ce professionnalisme et ce regard perçant, se cachait tout de même une personne mystérieuse. Un mystère qui ne demandait, à mon avis, qu’à être exploré.  

Ce matin-là, de juillet, il faisait déjà chaud. En arrivant au bureau, j'ai remarqué qu’elle s’était attaché les cheveux. Ce qui changeait radicalement son apparence, elle avait l’air moins sévère, même si elle portait toujours une longue robe noire, boutonnée jusqu’au col et de longue manche. Bien que le tissu semblait léger, je me disais qu’elle devait avoir chaud là-dessous. Ce changement de coiffure m’ouvrit toutefois une petite porte.

- C’est beau cette nouvelle coiffure. Elle rougit, légèrement, et tenta de rester concentrée sur son ordinateur, elle sourit puis me défia du regard.  

- Antoine, je pensais qu’on avait dit, pas de compliments au bureau. 

- On a dit ça ? Je ne me souvenais plus. Je jouais l’innocent, tentant maladroitement de la charmer un peu.

- Ça ne fait pas très professionnel, je n'aime pas ça. Toujours sans quitter son ordinateur des yeux, elle conserva tout son sérieux, elle paraissait vexée.

- C’est bon, je ne le referai plus.

Elle retrouva son sourire. Je me dirigeai alors vers mon bureau, sans demander mon reste. En entrant, j’ai déposé mon chapeau sur le porte-manteau en bois massif, à gauche, puis mon sac sur la chaise rouge en tissus. Je fis le tour de mon bureau pour m’y installer, mais avant, je pris la peine de fermer le store, le soleil étant déjà l’ennemi juré de mon écran d’ordinateur. Je pris place, tranquillement, pris une gorgée de café et m'apprêtais à commencer la journée. Puis, on frappa à la porte. C’était une porte en verre, givré, le son n’était pas aussi agréable que celui d’une porte de bois. Je voyais la silhouette à travers, sans pouvoir exactement deviner qui c’était. Je l’invitai à entrer. Sarah ouvrit la porte délicatement et la referma avec autant de douceur. Le seul son étant celui du frottement de la porte sur le tapis et le « clic » du pêne demi-tour. Elle s’avança vers moi, tenant devant elle des dossiers, les bras croisés par-dessus. 

- J’ai des documents à te faire signer. 

- Merci. Tu peux les poser là. J’indiquai le coin de mon bureau. 

Ce faisant, elle se pencha, laissant s’ouvrir le haut de sa robe et me révélant son décolleté. 

Je souris, elle plongea son regard dans le mien, sans cligner des yeux. 

- Tu as fait exprès. 

- C’est pour te faire payer ton inconduite de tantôt.

Elle se redressa aussitôt, tout sourire, tirant sur sa robe pour la réajuster. Puis reboutonnant les deux boutons du col. Je répliquai aussitôt,

- Ça ne fait pas très professionnel… 

- Il y a un temps pour l’être, et un temps pour agir différemment. Tout est une question de timing.  

Ce fut mon tour de sourire. Elle se retourna très mécaniquement, puis se dirigea vers la sortie. Elle ouvrit la porte aussi délicatement que possible, puis s’engouffra dans l’ouverture, elle se retourna brièvement, et me lança un « à tantôt », suivi d’un sourire. Elle referma la porte toujours avec douceur. Le reste de l’avant-midi passa en coup de vent, valsant entre les réunions Zoom, le travail technique et la gestion des projets. Quand je regardai ma montre, il était déjà 12:45. En jetant un oeil sur mon horaire de l’après-midi et la pile de travail à abattre, j’ai décidé de rester enfermé dans mon bureau. Mon cellulaire vibra.

« Sarah Travail. Tu ne dînes pas ? Veux-tu que je sorte te chercher quelques chose ? Tu n’auras pas le temps avant ta réunion de 13:15. »

Toujours très attentionnée, elle s’occupait constamment de notre bien-être, de nos horaires, nos diners, même nos rendez-vous non reliés au travail. 

« C'est gentil, je vais passer le diner aujourd’hui. »

« Sarah Travail : Je peux aussi commander quelques choses si tu préfères ? »

« Non, non, c'est bon. Ne t'en fais pas pour moi. »

« Sarah Travail : Je ne m’en fais pas, mais c’est important de bien manger. ;) Je devrais peut-être aussi te préparer des lunchs. »

« Ha ! Tu m’endures déjà, si en plus, il fallait que tu fasses mes lunchs. Ne t'encombre pas d’une responsabilité de plus. Ce serait louche. »

« Sarah Travail : comme tu veux. »

Depuis un petit moment, on se permettait quelques excentricités dans nos conversations, nos regards, nos échanges. Sans rien escalader, sans rien laisser transparaître devant les autres. Le coup du décolleté avait ouvert la porte à bien plus. Un point tournant si l'on veut. La retenue allait s’estomper, lentement, au début, puis à vitesse grand V par la suite. D’abord, les compliments, suivirent les frôlements, à la machine à café, au photocopieur, puis les conversations par textos, tout le temps, au levé, au travail, le soir, même le week-end. Un jeu dangereux qui pouvait s’avérer fatal à tout moment. Mais Sarah savait jouer. Elle avait cette capacité à choisir le bon moment pour chaque chose, chaque action était finement planifiée. À en croire qu’elle calculait tous ses faits et gestes. En octobre, un vendredi soir, à la fin de la journée, je m’affairais à faire du ménage dans mes vieux projets. Étant un vendredi relaxe, j’avais laissé la porte de mon bureau ouverte. Les yeux rivés sur l’écran, j’entendis soudainement la porte se fermer. Je relevai la tête et vis Sarah s’approcher. Dossiers à la main. Elle contourna mon bureau et vint les déposer directement face à moi. C’était inhabituel de sa part, mais j’étais tout de même intrigué par cette soudaine fougue. 

- J’ai deux choses pour toi. La première, il faut signer ces documents-là. Il y a le projet de tour au centre-ville, je dois l’envoyer avant 18:00. 

- Parfait je te signe ça à l’instant. Je m’exécutais au même moment, quelques secondes et je lui redonnais les dossiers signés. Voilà belle demoiselle. 

Je m’étais permis un compliment bien au-delà de ce que l'on se permettait habituellement. Elle sourit. Pris les dossiers et sans me quitter des yeux, les redéposa sur le coin de mon bureau. Puis resta là, à côté de moi. Elle se tenait droite, comme toujours, les mains liées, son habituelle robe noire, manches longues, son rouge à lèvre écarlate. 

- Tu n’es pas curieux de savoir ce qu’est la seconde chose ?

- Si, mais je pensais que tu enchainerais.

- Je voulais te faire languir un peu.

 

Je me suis levé pour lui faire face. Elle me fixait sans broncher. J'entendais sa respiration, douce. Nous étions proches. Je sentais son parfum, à la mure. Je pouvais distinguer tous les micros détails de sa peau. Le bleu de ses yeux, profond. Elle ne clignait pas. Le silence devenait lourd. Elle laissa glisser ses doigts sur le rebord de mon veston pour le replacer. Elle s'était subtilement rapprochée. Une certaine tension s’installait. Puis, sans avertir, elle vint poser ses lèvres sur les miennes. Doucement, au début, puis elle les sépara avec sa langue, curieuse, fougueuse. D'une main, elle me tira vers elle, de l’autre, elle m’agrippa la nuque pour s’assurer que je reste bien en place. Je laissai mes mains glisser vers ses hanches puis rapprochai nos bassins. Une fougue que je ne lui connaissais pas s’empara d’elle. Elle prenait le contrôle, elle décidait de comment nos langues se battaient, comment nos bouches agissaient. Elle plantait sporadiquement ses doigts dans ma peau, à travers mes vêtements qui protégeaient mon épiderme de ses ongles acérés. Je la fis tourner à 90 degrés puis l’assis sur mon bureau. Prenant le soin de bien relever sa robe et lui agripper les fesses au passage. Elle émit un petit gémissement. J’attaquais son cou avec ma bouche, elle dirigea la sienne vers mon oreille. Alors qu’elle en mordait doucement le lobe, elle me chuchota:

- Je voulais juste te souhaiter un bon week-end… Puis, elle me repoussa un peu, et se dégagea de mon bureau.

- Excuse, je me suis laissé emporter. 

- Ne t’excuse pas, c’est moi qui t’ai embrassé, je voulais voir comment tu réagirais. 

- Ai-je eu la bonne réaction ?

- Tu as eu la réaction que j’espérais. J’en voudrais plus, mais pas ici, ce n'est pas sage. Et, surtout, pas professionnel. 

Elle replaça sa robe. Se dirigea vers la sortie, elle ouvrit la porte doucement. Commença à sortir puis fit une pause. Elle se retourna, sourire en coin.

- Tu veux venir chez moi ?

- Là ?

- Ce serait plus… Intime. 

- On part ensemble ?

- Je préfèrerais que tu m’y rejoignes. Je voudrais ranger un peu et me doucher. 

- D’accord, à 19:00, ça te convient ? J’emmène quelque chose ?

- Je m’occupe de tout… 19:00, c'est parfait, ne soit pas en retard, ça me fâcherait, je te texte l’adresse… Je sais que tu es seul ce week-end… 

- Je ne peux quand même que t’offrir ce soir… 

- Je voudrais que tu sois à moi, pour toujours… Elle fit une pause, puis repris en me regardant, mais je me contenterai d’un soir seulement. 

Elle quitta le bureau tout de suite après. 17:20, Ça me donnait tout juste le temps de passer à la maison, me doucher aussi, me changer et récupérer une bouteille de vin au passage. Arriver les mains vides n’était pas coutume chez moi, et surtout, je trouvais ça inconcevable. Sans que ce soit une habitude, je savais d’expérience que lorsqu’on butine hors de notre nid, il fallait faire les choses de la bonne façon. Simplement, sans trop en faire, discrètement, et avec juste assez de naturel pour ne pas semer le doute auprès de quiconque.  

J’arrivai chez elle avec trois minutes d’avance. Je connaissais sa rigidité sur les horaires, je ne voulais pas lui déplaire. Elle habitait une tour à condo bien en vue au centre-ville. Je sonnai à 19:00 précise. Sans répondre, elle débarra la porte, ce qui fit un son de vrombissement, puis on entendit le loquet se déclencher. Je pris l'ascenseur jusqu’au 37e étage. Tout sentait le neuf. L’ascenseur de bonne dimension était silencieux, à la fine pointe de la technologie avec un panneau digital, les murs ornés de miroir et le sol d’un beau tapis moderne. Une voix féminine annonça l’étage. Puis un «ding» retentit et les portes s’ouvrirent. Un panneau indiquait la direction à suivre pour les différents groupes de numéro. Ces tours à condos aux allures d'Hôtel prestigieux étaient fichtrement bien faites. Une odeur agréable de lavande teintait l’étage, les corridors étaient ornés de lumières à chaque trois mètres et des plantes meublaient certains coins. Il n’y avait aucun autre son que celui de la ventilation. Le silence était la marque de commerce de ces unités trop bien insonorisées. 

En arrivant devant la porte, j’observai une petite pause. Par nervosité, rarement je n’étais pas celui qui contrôlait le rythme de mes infidélités. Mais, j'en avais très envie, le build-up avait été long. La tension montait un peu plus chaque jour depuis des semaines. J’avais encore frais en tête le goût de cette bouche, la fougue de cette langue, la douceur de sa peau. La férocité de ses mains. Un contraste qui me parlait beaucoup, mais surtout me donnait envie d’explorer plus. 

Je donnai deux coups sur la porte. J’entendis la serrure tourner puis la porte s’ouvrit. Elle se tenait devant moi. Cheveux encore humides, robe de chambre en serviette. Elle me regarda un instant, sourit, son rouge à lèvre toujours aussi intense. Puis me tira à l’intérieur en refermant la porte d’un geste finement chorégraphié. Elle me poussa contre la porte, sa main fermement appuyée sur mon torse.

- On avait dit 19:00. Tu es en retard

- Il est 19:02, j’ai sonné à 19:00, vos ascenseurs sont lents, me défendis-je. 

- C’est correct. De toute façon, je sors tout juste de la douche.

Sur ces paroles, elle laissa sa robe de chambre tomber et se précipita contre moi, prenant ma bouche d'assaut avec la sienne. Ses mains habillent m'entraînèrent dans le couloir, me projetant sur un mur, puis l’autre. J’avais toujours cette bouteille de rouge à la main, que j’essayais tant bien que mal de protéger des chocs contre les murs qui devenaient supports de nos corps. Toujours dans une chorégraphie sans failles, au passage devant la salle à manger, elle m’enleva la bouteille qu’elle déposa sur le comptoir/bar qui fermait l'îlot de la cuisine. Mes mains maintenant libres pouvaient explorer librement les différentes zones de son corps, nu, complètement disponible à toutes mes curiosités. Ses mains continuaient leur danse, en enlevant en premier lieu mon veston, puis ma chemise, défaisant sans accroc ma ceinture puis mon pantalon. Cette danse contemporaine culmina, son court trajet, sur son divan, en cuir, qui surprenamment était ni trop chaud, ni trop froid. Ce fût le premier lieu de nos ébats. Parfois assis, tantôt couchés, elle prit le contrôle complet, me guidant dans ses envies, répondant aux miennes. J’explorais sans retenu son corps de mes mains. Je remarquais les petits détails qui m’avaient échappé, caché par ses robes aux longues manches. Elle avait cette demi-manche de tattoo, sur le bras droit, sur l’extérieur de l’épaule jusqu’au coude. Jamais elle ne l’avait exposée. Une grosse araignée émergeant de l'omoplate surmontant une horde de plus petites arachnéennes se dirigeant vers le coude. Son bassin menait la charge du rythme. Sa bouche attaquait la mienne, m'empêchant de m’exprimer à chaque fois que je voulais le faire. J’étais envouté par ses mouvements, par la texture de sa peau, le frottement de nos épidermes. Ses seins tant désirés, s’appuyant contre moi. Elle usait de toutes ses facettes. Émettant de petits gémissements ici et là, habillement, elle m’avait mis un condom, que j’avais maladroitement oublié. Puis, nous nous étions abandonnés à nos instincts. 

Au bout d’un moment, nous nous sommes retrouvés couchés. Enlacés, sur le divan de cuir, mauve. Tout s’était passé si vite depuis mon arrivée, je n’avais même pas pris le temps d’observer la décoration. C’était un lieu sombre. Plusieurs murs étaient peints en noir, ornés de décorations les plus excentriques les unes des autres. Un immense vase en céramique noire luisante, coloré de multiples motifs doré et mauve aux formes d’araignées, meublait le coin à côté de l’immense porte-fenêtre. Qui elle donnait une vue époustouflante sur les lumières de la ville. Sur un mur, une peinture, une grande toile d’araignée, d’un blanc immaculée, en relief sur fond noir. Dans chaque coin, une sculpture, toujours un homme, nu, tel un David. Posant. Sans visage. Grandeur nature, les pieds recouverts d’œufs, des araignées lui montant sur les jambes. Les détails étaient impressionnants.  

- Tu aimes beaucoup les araignées ? 

- Certains disent que j’en fais une fixation. Mais oui. Elles me fascinent… As-tu faim? 

- Je t’avoue que oui. 

Tout ça m’avait ouvert l’appétit. Boire le ventre vide n’était jamais une super idée. J’avais faim, oui, mais j’avais surtout envie que cette soirée ne finisse jamais. 

- Je vais te préparer ma spécialité ! Sandwich jambon ! Pain maison, mayo maison. 

- Tu fais ton pain et ta mayo? 

- J’essaie le plus possible de prendre le moins de produits usiné. Tu vas voir, mon pain Pumpernickle est quelques chose!! C’est long à faire, mais ô combien savoureux.

Elle vint se rassoir devant moi, déposant sur la table deux assiettes contenant un sandwich digne d’une photo de revue. Je l’observai un temps, elle me fixait, assise dans ce fauteuil, une place, ne portant qu’une petite culotte, elle avait une jambe repliée sur l’autre, un verre de vin rouge à la main. Son regard était celui d’une prédatrice, la tension était encore très élevée et je ne pouvais cesser d’éprouver du désir pour elle. Mes yeux ne cessaient de scruter chaque détail de son corps. Je pris alors la moitié de mon sandwich et toujours sans la quitter des yeux, pris une grande bouchée. Elle se mordit la lèvre inférieure. C’était sans doute le meilleur sandwich que j’avais goutté de ma vie. Le pain était moelleux, la mayo goutteuse, la laitue croustillante et froide, les cornichons juste assez acides. Elle avait déposée sa coupe de vin, décroisé les jambes, elle me fixait avec appétit. J’avais envie de lui sauter dessus, je pris néanmoins une autre bouchée. Elle sourit à nouveau puis s’avança, ses doigts glissant sur sa peau, elle me rendait tout ça insoutenable, se caressant devant moi. Puis, elle cessa. Elle devint immobile, son regard devint plus sérieux. Ma bouche s’engourdit, d’abord, ma langue picota, je commençais à perdre la sensation. Ma bouche devenait pâteuse. Ma vision se troublait, puis revenait claire, j’étais étourdi. Elle ouvrit la bouche.

- Ça va… Antoine ? 

J’essayais de répondre, mais aucun son. J'ai voulu m’agiter, mais lentement mon corps ne répondait plus. Je pensais à un choc anaphylactique, mais je n’avais aucunes allergies connues. Je devenais prisonnier de moi-même. Ma respiration s’accélérait, je paniquais, en silence.

- Chut Chut Chut… Calme-toi… Respire doucement…

Elle était maintenant debout devant moi. Elle souriait, faisant glisser ses doigts sur mon visage. Seuls mes yeux bougeaient, j’arrivais à la suivre du regard. Puis, elle s’élança dans un monologue.

- J’aime beaucoup les araignées, c'est vrai. La veuve noire surtout. Elle est forte, intempestive, brutale. Elle fit glisser sa main gauche sur son tattoo.. 

- C’est une prédatrice, elle charme, elle s’offre… Puis, elle tue. Au grand damne des imprudents. Mon premier copain me battait, le deuxième, m’a trompé avec ma meilleure amie et m’a laissée pour morte dans une ruelle… Ils se croyaient forts. J’ai compris à ce moment-là que je ne pourrais faire confiance qu’à moi-même. Que je devrais faire payer tous ceux qui pensaient pouvoir me séduire. C’est fou hein, penser qu’on peut séduire qui on veut. Agir en toute impunité. Croire qu’on est le chasseur… Découvrir qu’on est la proie. 

 Elle marqua une pause. Fit glisser sa langue sur ma peau.  

- Mmmmmm… Quand je t’ai rencontré, je me suis dit que tu étais différents. Attentionné, gentil, doux. Beau, fuck que t’es beau. Mais infidèle. J’ai tout vu, tout su… La gestionnaire de l’immeuble au renouvellement du bail. La présidente de la chambre de commerce, après la négociation pour la nouvelle tour au centre-ville. Pour ne nommer que celles-là. Ces contrats perdus parce que tu séduisais ces femmes, gestionnaires, directrices, que tu jetais ensuite comme des vulgaires objets. Ça m’a rendue jalouse… Mais, j'ai gardé ça pour moi, j’ai continué d'embarquer dans ton jeu. J’ai découvert cette partie-là de toi. Narcissique, tellement obsédé par ton besoin de séduire, tu baisses ta garde au premier décolleté. C’est triste. J’ai pensé à ta femme… Ça m’a dégouté.

La douleur s’emparait de moi, tous mes muscles, figés, me faisaient maintenant terriblement souffrir. Je voulais hurler, mais rien.

- Tu souffres hein… 

Elle sourit à nouveau. Plantant ses ongles dans mon torse.

- Ça fait mal ? Non, tu ne sens plus rien en dehors… Ce n'est pas le fun hein… Plus rien sentir en dehors, mais souffrir en dedans… Je vais t’expliquer la suite, parce que je t’aime bien… Là, tu es paralysé. Maudit poison. C’est lent… Ton sang va bientôt arrêter de coaguler, s’épaissir, tu vas commencer à avoir des hémorragies internes, tes organes vont cesser de fonctionner et ton cœur va… Arrêter. La beauté de tout ça, c'est que tout le long du processus, tu vas en être conscient, et tu ne pourras rien faire. Et moi, moi, je vais t’observer et m’en réjouir, surement même, me masturber. Horrible hein ? 

Elle souriait, assise dans son fauteuil, ses doigts parcourant son corps. Une main entre les cuisses, l’autre se caressant les seins. Elle me fixait. Machiavélique, à son tour, son regard en feu, sa respiration, rapide, elle avait des spasmes. 

- Tu dois te dire que je suis une folle… Psychopathe… Mmmmm… Oui…Hahaha.

Ce rire, elle l’avais exprimer comme si elle voulait appuyer son propos. Elle se leva, à nouveau. Ma vision devenait de plus en plus floue, mais je voyais bien sa silhouette face à moi. Elle posa l’index de sa main droite sous mon menton et releva ma tête. Du sang, épais, coulait de mon nez, mes yeux et ma bouche. Ma peau, grise, se marquait de taches mauves. Puis, se rapprochant, et toujours de sa voix douce, avant que je ne sombre dans le néant, elle murmura.

- Après… Je vais t’embaumer, et te transformer en statue, comme celle que tu vois dans mon salon. Te sceller dans le ciment, effacer ton visage, ton existence… Mais, tu ne me quitteras plus jamais.

Elle m’envellopa ensuite dans ses bras, se cocounant contre moi, elle déposa doucement sa tête contre la mienne. Elle posa une dernière fois ses lèvres contre ma joue. Une main appuyée sur mon torse. Lautre, qui passait derrière mon dos, tenait ma tête contre la sienne. Elle jouait dans mes cheveux de ses doigts habiles. Je ne sentais maintenant presque plus rien. Si ce n’est que sa présence, et ses quelques mouvement. Son étreinte se renforçait de plus en plus. Puis au moment où mon corps abandonnait, Elle m’adressa ces dernières paroles;

- Tu es à moi Antoine… Pour toujours. 

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